Un cinéma en propriété d’usage

Lorsque a germé l’idée folle d’acheter La Clef nous-mêmes, peu après le début de l’occupation, nous nous sommes tourné·e·s vers des collectifs qui avaient réfléchi aux questions de propriété et de mise en commun du foncier. Et sur les conseils de la Foncière Antidote, notamment, nous avons choisi le modèle de la « propriété d’usage » : la gestion de La Clef sera partagée entre tous·tes celleux qui font vivre le lieu et en prennent soin. Le cinéma deviendra un bien collectif que personne ne pourra plus s’approprier.

Pour y parvenir, on utilise un montage juridique afin de séparer la propriété des murs de leur usage1. Notre fonds de dotation, Cinéma Revival, acquiert les titres de propriété de La Clef ; il confie ensuite l’usage du lieu à une association à travers un bail de longue durée, à loyer modique, qui confère au locataire un droit réel sur le bien. De cette façon, l’association a tous les droits d’un propriétaire, à l’exception du droit de revente qui reste entre les mains du fonds de dotation.

Nous avons rédigé les statuts de Cinéma Revival de façon à rendre presque impossible l’exercice de ce droit, pour sortir durablement le cinéma La Clef du marché immobilier. La revente d’un bâtiment n’est possible que si chacun de nos deux collèges d’administrateurs (les usagers et les professionnels) l’approuve à la majorité : une situation quasi impossible. Et en aucun cas cette hypothétique revente ne pourrait générer de profit : les statuts du fonds interdisent la spéculation.

Ces statuts (et le bail) précisent, en outre, que l’association usagère doit mettre en œuvre une programmation collective, valoriser des œuvres peu diffusées, pratiquer des tarifs solidaires et promouvoir la transmission des savoirs au sein d’une organisation horizontale. Tant qu’elle respecte ces grands principes, elle est entièrement libre de sa programmation! Grâce à ce montage, La Clef restera un cinéma autogéré et indépendant, et pour longtemps.

C’est quoi, déjà, un fonds de dotation ?

C’est un organisme de mécénat destiné à réaliser une mission d’intérêt général. Il permet par exemple l’acquisition de terres et bâtis de manière collective, sans système de parts ni d’actions. Il ne prévoit aucun dividende aux donateurs, hormis les avantages fiscaux liés aux dons. Cela signifie que le projet ne peut être fragilisé par des personnes voulant récupérer leurs parts, et que le pouvoir n’est pas lié aux sommes apportées. Les mécènes, si riches soient-ils, ne peuvent pas imposer la revente du lieu ; la décision appartient aux seuls administrateurs du fonds.

Les administrateurs·trices de Cinéma Revival

Cinéma Revival a deux collèges d’administrateurs. Le premier est celui des usagers – à ce jour, il compte six personnes issues de l’occupation de La Clef. Le second collège est composé de professionnel·le·s choisi.e.s pour leur volonté de défendre notre modèle de cinéma : une cinéaste (Céline Sciamma), un exploitant de cinéma indépendant (Jean-Marc Zekri), un représentant du cinéma autogéré Nova (Laurent Tenzer) et un spécialiste de la propriété d’usage (Eric Arrivé).

Le comité d’investissement et d’orientation stratégique (CIOS)

Le comité d’investissement et d’orientation stratégique rend chaque année un avis critique sur les activités du fonds de dotation, s’assure que le principe de désintéressement est respecté et conseille les administrateurices dans leurs choix éthiques et économiques. Nous avons composé notre CIOS de façon à ce qu’il reflète au mieux les différents aspects du projet : un lieu de cinéma associatif, mêlant diffusion et création ; un bien collectif culturel ; un espace militant, autogéré et inclusif. En sont donc membres : Emmanuel Falguières (L’Abominable – Navire Argo), Valentine Roulet (présidente de Tënk), Sarah Vanuxem (chercheuse spécialisée en droit des communs) et Françoise Vergès (militante féministe et décoloniale).

  1. Le détail dans notre article « Pourquoi acheter La Clef » du 19/02/2024 ↩︎