09/10/2020 @ 19:30
de Philippe Grandrieux EN SA PRÉSENCE
1998 | France | 112'
Jean tue, il rencontre Claire, elle est vierge. Claire aime Jean. Elle reconnaît à travers les gestes de Jean, sa maladresse, sa brutalité, elle reconnaît ce qui obscurément la retient elle aussi hors du monde. Et jusqu¹alors frappée de désespoir, du désespoir d’une vie non vécue, cet homme la redonne à la lumière. C¹est un conte. L’amour est ce qui nous sauve, fut-il perdu, d’emblée perdu.
Bande annonce :
Informations pratiques :
🕘 Ouverture des portes de La clef revival 🔑 à 19h30
Lancement de la séance à 20h00
34, rue Daubenton – Paris 5e
💰 Prix libre
Le cinéma des années 2000 (pour détourner les propos de Cocteau à l’égard du film L’Amérique insolite de François Reichenbach) « prouve que, malgré le robotisme, la tendance à la dé- personnalisation, la menace du pluriel, victorieux du singulier, l’invasion des casernes et de la symétrie synonyme de mort, il existe partout des surprises, des excès, des désordres merveilleux, une désobéissance instinctive aux règles, désobéissance qui nous sauve de la platitude et conserve au monde l’étrange beauté dissymétrique du visage humain. » (Jean Cocteau)
Les années 2000 sont les années de l’étouffe et de l’esbroufe. Souvenez-vous… des brimades politiques et morales à l’encontre du film Baise-Moi (2000) de Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi… d’une certaine pédanterie universitaire agacée (voire d’une condescendance journalistique de certains canards) vis-à-vis du film Demi-tarif d’Isild Le Besco… de la tornade formelle que fut Sombre (1998) de Philippe Grandrieux, film si radical qu’il s’apparenterait à un manifeste pour le cinéma français dont Jacques Audiard ou Claire Denis ne se remettraient jamais vraiment. D’un côté, une urgence de filmer au féminin avec une brutalité et une audace aussi bien formelle que critique (Baise-moi) et de l’autre, un geste, des impressions, du sensoriel (Sombre).
Jean (Marc Barbé), être taciturne et peu loquace, tue des femmes. Il tue en série puis rencontre Claire (Elina Löwensohn), une femme vierge qui lui résiste, mais qui semble le comprendre, de ses maladresses à son instinct de mort…
Le film de Grandrieux met du sensoriel sur de l’incommunicabilité, autrement dit du formel, de la matière sur de l’irreprésentable et nous plonge, au travers de sa première partie qu’est l’odyssée meurtrière de Jean, dans une apnée profonde jusqu’à l’irruption du personnage de Claire. Sombre confère, via la sensualité amorale permise par son protagoniste monstrueux, une poésie noire non exempte d’un sentiment « réaliste » impressionniste, débarrassé de toute psychologie cartésienne encombrante. Il explore également (instinctivement semble-t-il) toutes les possibilités et les propriétés formelles affiliées au film de genre fantastique ou de terreur : puissance du hors-champ, malaise du bord cadre, inconfort du flou, violence sonore dans la collure d’une scène à l’autre comme d’un plan au suivant. Il semble même emprunter (ô mais quelle digestion parfaite !) les motifs du cinéma traditionnel pour en extraire une métaphysique consacrée au sentiment amoureux, celui le plus beau parce que le plus noir, qui doit déranger pour au moins l’effleurer au plus près vu qu’il est proprement irreprésentable ! Jean est marionnettiste comme le personnage de l’éventreur interprété par John Carradine dans Barbe-Bleue d’Edgar G. Ulmer, Claire est brune et sa sœur est ostentatoirement blonde pour qu’entre elles le vertige s’installe et nous évoque Sueurs Froides, l’attraction fantastique de Jean sur ses victimes (et leur tétanisation avant leur mort) renverrait quant à elle à la puissance poétique de L’Étrangleur de Paul Vecchiali. On pense également à Clean, Shaven dans l’incommunicabilité de leur personnage au monde et leur reconversion grâce à un(e) autre. Sombre semblerait revendiquer un retour à la sensualité des films primitifs comme Extase de Gustav Machaty, Cœur Fidèle de Jean Epstein, Les hommes le dimanches de Robert Siodmak, Edgar G. Ulmer et Billy Wilder ou Partie de campagne de Jean Renoir. Jean et Claire sont des caisses de résonance émotionnelle qui permettent à Grandrieux de traiter des affects également par la musique du film qu’elle soit « off » ou « in ». La musique de Sombre est le battement de cœur de ses personnages…
Voilà un chef d’oeuvre dont on serait curieux de voir l’impact aujourd’hui vu que nos « temps morts » semblent encourager un sentiment bien conservateur, bien alerte au regard moraliste d’autrui, de la fabrication à la réception des films…
« Moi, l’art que j’aime, ce sont les gestes qui viennent d’un sentiment très profond, instantané, sans souci du regard des autres… Un geste brut et sans comédie. Or, c’est cela souvent, l’enfance : ne pas chercher à être autrement que ce que l’on se sent être. » (Isild Le Besco pour la revue Psychologies, avril 2004, dossier « L’enfant en nous »)