Bande de flics

28/08/2019 @ 19:30

Robert Aldrich

(The choirboys) 1977 USA 120min

« À l’instar des Douze salopards de retentissante mémoire ou des douze détenus membres de l’équipe de foot de The mean machine (Plein la gueule), les douze flics qui se retrouvent tous les soirs dans le parc au bord d’une mare aux canards à la signification emblématique sont bien, comme le titre l’indique, des « enfants de chœur », totalement inconscients du rôle qu’on leur fait jouer, et surtout de l’exploitation dont ils sont victimes. Cependant, à la différence de leur prédécesseurs, dans l’œuvre d’Aldrich, qui allaient au casse-pipe ou au jeu de massacre avec une jubilation communicative, ceux-ci, blasés, croient « s’en sortir » par la dérision perpétuelle exercée, à l’abri des représailles, à l’encontre de leurs chefs. Ils ne se montrent, à cet égard, guère plus subversifs que des écoliers qui chahutent le prof, et, même lorsqu’ils réussissent à mettre en boîte – ou « dans leur poche » – tel ou tel officier imprudent, ne font que conforter, de l’intérieur, la stabilité idéologique du Système tout entier : on sait, depuis belle lurette, que le capitalisme libéral à l’américaine n’accorde que pour mieux renforcer sa clôture répressive à la rébellion individualiste une considérable marge de débordement. » (Article de Bruno Duval pour La Revue du Cinéma n° 327, avril 1978)
Il y a de la comédie à l’italienne dans la première partie (Mes Chers Amis) grâce à l’audace formelle explorant l’abjection, le mauvais goût le plus frondeur et le découpage faisant penser aux célèbres films à sketches (Les Nouveaux Monstres)… Avant que le film ne glisse, ne sombre dans le drame, voire une tragédie progressive et contagieuse (le relais tragique d’un personnage à l’autre, de Baxter Slate à Sam Lyles) notifiant que les policiers ne sont plus ces héros de série TV (1) (Chips, Starsky et Hutch) ou ces stars de cinéma sans peur et sans reproches (John Wayne dans Brannigan ou Georges Peppard dans Newman’s Law), mais des êtres friables que le mode de vie quotidien abîme et détruit petit à petit ou de manière fulgurante et expéditive. Tout ça sans qu’Aldrich n’ait même recours aux alibis narratifs judéo-chrétiens d’une rédemption ou d’un chemin de croix fatidique (Les flics ne dorment pas la nuit, Serpico, The Super Cops).
« Un dialogue abondant, volontairement grossier, valut au film d’être très violemment attaqué. « Naturellement, les critiques ont dit que le film était violent et vulgaire. Il l’est. Mais j’aime cette vulgarité et je pense que le film est très drôle » déclarait Aldrich à Paris Métro en février 1978. » (Jean-Pierre Piton, Robert Aldrich)
Déjà avec La Cité des dangers, la violence urbaine réelle contaminait la pure fiction hollywoodienne de son âge d’or et faisait échoir cette dernière pour envoyer dans les cordes les clichés mensongers nauséabonds de l’industrie cinématographique et permettait de moderniser le genre. Le film policier, avec Aldrich, est enfin dépouillé de l’hypocrisie mercantile habituelle, celle de remplir coûte que coûte le contrat sordide à répondre aux seules et simples attentes du spectateur en vue de le divertir, et au détriment du sujet traité aussi houleux et critique soit-il ! Dans Bande de flics, Aldrich « intimise » toutes ses scènes de telle sorte qu’on se retrouve dans un théâtre de l’absurde où même la reconstruction vériste est rejetée pour lui préférer l’artificialité du studio afin d’y enfermer tous ces personnages de flics dans une métropole devenue purement et simplement un asile d’aliénés. Les scènes de beuverie du parc relèvent d’une pièce à la Beckett qui aurait dégénérée ! Enfin, le véritable coup de maître du film repose sur l’effet de miroir de ces policiers qui découvrent constamment que l’altérité se réduit à leurs confrères. Ils n’arrêtent pas de s’interpeller ou s’arrêter par accident, hasard ou coïncidence comme si cette altérité – leurs antagonistes criminels – n’était autre qu’eux-mêmes !
Jamais la satire n’a été à ce point si déconcertante (2), si extrême (et que viendra dénaturer un héritage fourbe avec des films comme Police Academy ou Stripes). Et vous ne verrez certainement pas ça de sitôt ! Surtout aujourd’hui…
« Avec ce film, Aldrich reçu parmi les pires critiques de sa carrière. Ainsi Richard Schickel du Time lui décerna le titre de « plus répugnante sortie de l’année (3) » et d’autres suivirent dans la même tonalité. Le film fut condamné par la légion de Décence et, bien qu’il eût un certain attrait pour « le public populo » qu’Aldrich souhaitait atteindre, il est considéré comme l’un de ses films les moins mémorables. » (Edwin T. Arnold and Eugene L. Miller, Jr., The Films and Career of Robert Aldrich)
Derek Woolfenden
Remerciements : Patrick Fuchs (traduction).
(1) Ce n’est pas innocent qu’Aldrich se soit entouré à nouveau du scénariste Christopher Knopf (L’Empereur du Nord) dans la mesure où ce dernier a beaucoup écrit pour la télévision.
(2) À tel point que Joseph Wambaugh, auteur du roman original qu’il a adapté à l’écran pour Aldrich, avait retiré son nom du générique, et gagné un procès sous l’arbitrage de l’Association des Auteurs. Pour Wambaugh, ces flics sont des héros martyrs, pour Aldrich des victimes pathétiques.
(3) « Paroles vides que nous entendons souvent tomber de la bouche de ces sphinx sans énigme qui veillent devant les portes saintes de l’Esthétique classique. » (Charles Baudelaire, Notes nouvelles sur Edgar Poe, 1857)

Informations pratiques :

🕘 Ouverture des portes de La clef revival 🔑 à 19h30
Lancement de la séance à 20h00
34, rue Daubenton – Paris 5e
💰 Prix libre